26 mars 2020
L’asile et la gestion des frontières au temps de la COVID-19
Rapport de Jacob BRUEL-COURVILLE
Candidat à la maîtrise au sein de la chaire et stagiaire au HCR, Montréal
Ses recherches portent sur les arrivées irrégulières des demandeur.es d’asile au Canada depuis les États-Unis.
La propagation de la COVID-19 dans le monde a entrainé la fermeture progressive des frontières, la Chine ayant été la première à le faire. Depuis le 21 mars, Justin Trudeau a annoncé la conclusion de l’entente bilatérale entre le Canada et les États-Unis concernant la fermeture presque totale de leur frontière commune. Sous la pression du parti conservateur, du Bloc québécois ainsi que du Gouvernement du Québec, le gouvernement fédéral a annoncé que la frontière sera également fermée pour les demandeur.es d’asile qui tentent de venir au Canada et que ces dernier.es seront refoulé.es aux États-Unis. Cette annonce fait particulièrement échos aux critiques soulevées par des médias et des partis d’opposition concernant le passage hautement médiatisé du chemin Roxham (image 1) où transite la majorité des demandeur.es d’asile irrégulier.es venant au Canada. Cependant, qui dit entrée irrégulière ne veut pas dire illégale. En vertu de la Convention relative aux droits des réfugiés de 1951, signée par le Canada, le pays a l’obligation d’accepter sur son territoire toute personne demandant l’asile. Après un examen devant un tribunal spécialisé, le pays décidera par la suite de garder ces personnes ou de les déporter.
Or, le Canada entreprend depuis plus de 15 ans de restreindre progressivement l’accès à son territoire aux demandeur.es d’asile. Depuis la signature du l’Entente des tiers pays sûrs en 2004 avec les États-Unis, les demandeur.es d’asile transitant par les États-Unis ne peuvent demander la protection du Canada, sauf si ces dernier.es entrent au pays de manière irrégulière. En d’autres termes, c’est l’entente entre le Canada et les États-Unis qui oblige les demandeur.es d’asile d’entrer au pays de manière irrégulière. Mais depuis le 21 mars, l’entente bilatérale a étendu le refus d’accès sur les 8 891 km de frontière commune. Qu’à cela ne tienne, cette entente n’empêchera pas les personnes de venir chercher la protection du Canada. Ces gens risquent plutôt de se mettre en danger en traversant la frontière à des lieux reculés et dangereux et une fois entrés au pays, s’astreindre à la clandestinité par crainte de représailles du gouvernement.
Sur le plan international, cette mesure ouvre une brèche extrêmement dangereuse dans la Convention de 1951, l’unique outil légal de protection des réfugié.es. Une fois le principe d’exception sanitaire établi comme précédent, d’autres gouvernements pourront l’instrumentaliser à des fins de politiques populistes et nationalistes.
Malheureusement, la situation sanitaire actuelle ne fait pas que précariser la situation des demandeur.es d’asile en transit vers le Canada. Bien que la détention de ces dernier.es soit clairement proscrite par le droit international, le Canada possède plusieurs centres de détention pour personnes migrantes au pays. Ces centres, qui hébergent également de manière régulière des enfants venus avec leur parent, représentent un réel risque sanitaire pour les détenus en raison du manque de mesure de prévention sanitaire et de la promiscuité ambiante. Le 19 mars, des personnes détenues du Centre de surveillance de l’immigration de Laval ont publié une pétition (image 2) demandant aux autorités d’avoir accès à des mesures de confinement. Depuis, le 24 mars dernier, certaines personnes détenues ont entrepris une grève de la faim (image 3) afin de réitérer leurs craintes d’une potentielle éclosion d’un foyer de pandémie au sein du centre de détention.
Pour revenir à la situation frontalière, aussi dramatique soit-elle, la pandémie de COVID-19 n’a pas mis fin aux conflits, aux régimes autoritaires, aux féminicides, à la persécution des militant.es des droits humains, des minorités religieuses et sexuelles. Des gens tenteront toujours de trouver un endroit plus sécuritaire pour eux et leur famille. Dans ce contexte, le Canada devrait plutôt travailler à mieux encadrer ces arrivées. Ne serait-ce qu’au point de vue sanitaire, le pays pourrait veiller à la bonne santé de ces personnes à leur arrivée. Mieux vaut des migrations irrégulières encadrées plutôt qu’un dispositif sécuritaire poussant à l’irrégularité.