Return to Migration et COVID-19

(6/10) Québec

5 avril 2020

Les travailleur.euse.s temporaires de l’hôtellerie-restauration frappés de plein fouet par la crise de la Covid-19

Rapport de

Danièle Bélanger
titulaire de la chaire de recherche
Charles Fleury
chercheur associé au sein de la chaire et professeur agrégé au département de sociologie
Capucine Coustere
candidate au doctorat du département de sociologie de l’Université Laval

Le projet de recherche de Capucine porte sur les effets d’événements macrosociaux imprévisibles sur les parcours de vie en migration.


Dans le cadre d’un projet de recherche de la Chaire, nous avions réalisé 23 entretiens approfondis avec des résident.e.s temporaires qui travaillaient dans le secteur de l’hôtellerie et de la restauration dans la région de Québec au cours de l’été 2019. La plupart de ces personnes avait un permis de travail temporaire, d’autres un permis d’études leur octroyant le droit de travailler à temps partiel. À cette époque, ces dernier.ère.s jouissaient du plein emploi dans un secteur en constante recherche de main d’œuvre. Nous nous intéressions à quatre dimensions de leurs parcours : migratoire, professionnelle, familiale et de formation.

Avec la crise sanitaire que nous vivons, les travailleur.euse.s de ce secteur d’emploi sont frappés de plein fouet. Au cours des deux dernières semaines, nous avons pu réaliser un entretien de suivi (à distance) avec chacun.e d’entre elles et eux afin de mieux comprendre les répercussions que cette situation avait sur eux. Ces dernier.ère.s ont généreusement partagé le récit de la suite de leur parcours depuis l’été 2019, jusqu’à aujourd’hui. Nous relevons trois points qui ressortent de cette ethnographie de crise.

1. Une double précarité exacerbée

La majorité de nos participant.e.s occupait toujours un emploi dans le secteur de l’hôtellerie ou de la restauration au moment de la fermeture ou de la réduction des services. Pratiquement tou.te.s ont été licenciés et sont confinés à leur domicile, comme le reste de la population. Certain.e.s ayant un permis de travail fermé (les autorisant à travailler pour un seul employeur) aimeraient chercher un nouvel emploi dans les secteurs en demande (épiceries, livraisons), mais le type de permis de travail qu’ils détiennent ne le leur permet pas. Pour celles et ceux qui ont un permis d’étude leur permettant de travailler, la perte instantanée d’un revenu vital est une source de grand stress qui s’ajoute à celui de compléter leur semestre d’études. Plusieurs, du fait des contraintes de leur visa, n’ont pas droit aux aides d’urgence offertes par l’État. Étudiant.e.s ou travailleur.euse.s, les résident.e.s temporaires sont souvent seuls au Québec et n’ont pas de filet de sécurité pour faire face à la situation; certain.e.s ont des membres de leur famille à l’étranger qui dépendent d’eux et elles financièrement. D’autres sont en procédure de renouvellement de leur permis de séjour/de travail et, avec les retards administratifs actuels causés par la crise, craignent de se retrouver sans statut.

2. Des travailleurs et travailleuses résilient.e.s

Malgré les grandes difficultés vécues par les personnes que nous avons rencontrées, les entretiens témoignent d’une grande résilience, d’un désir de trouver un nouvel emploi ou de reprendre son emploi le plus vite possible, mais aussi de participer pleinement à la future relance. Il en ressort également que les participant.e.s confinés continuent de faire des projets d’avenir et que plusieurs d’entre eux apportent du soutien à distance à leurs proches ici et dans leur pays d’origine. Ces personnes apprécient grandement être au Québec/Canada pendant cette crise et s’y sentent en sécurité. Rentrer au pays est difficilement envisageable pour différentes raisons: vie bien installée au Québec et processus d’acquisition de la résidence permanente en cours, poursuite d’études, mise en couple au Québec, absence d’option de logement dans le pays d’origine, crainte de contracter le virus pendant le voyage et de le transmettre à leurs proches. Une phrase revient : « ma vie est au Québec! »

3. Un manque criant d’informations sur les droits

Finalement, les entretiens ont été une opportunité de donner des informations à nos participant.e.s sur leurs droits (chômage, prestations) car ces dernier.ère.s n’avaient pratiquement aucune source d’information suffisamment spécifique leur permettant de connaître leurs droits. Merci à Capucine qui a suivi de près les détails quant à l’éligibilité aux programmes spéciaux et qui a bien informé les participant.e.s.

Un article scientifique basé sur cette ethnographie de crise est en préparation par l’équipe de la Chaire.

© Photographies : Rosalie Lacombe