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Une citation vaut mille pages

L’immigration à partir de citations puisées dans les romans : un prétexte à réflexion

Le sociologue et démographe Victor Piché poursuit l’objectif de parler d’enjeux migratoires, décoloniaux et humains à travers la littérature. Vous retrouverez dans cette section les rubriques qu’il publie régulièrement à partir de citations tirées de romans et les réflexions que ces citations lui inspirent.

Pour en apprendre davantage sur la démarche poursuivie par Victor Piché qui part de la littérature comme source de connaissances et d’accès à l’expérience vécue par les personnes migrantes, lisez l’article suivant :

Victor Piché, « Le roman comme source de connaissances sur les migrations », La Presse, 29 octobre 2023

Liste des publications

« Car il me semble juste de penser désormais que seule la fiction, le roman d’une vie, peut donner un véritable aperçu de sa réalité profonde, de sa complexité, éclairant ses opacités, en grande partie indiscernables par la personne même qui l’a vécue. »

(David Diop, La porte du voyage sans retour (Points, 2022, p. 220/362 version numérique, roman africain)


Prétexte à réflexion

« Depuis longtemps, j’ai constaté que l’écriture romanesque réussissait parfois mieux que nos rapports scientifiques à véhiculer des réalités migratoires toutes remplies d’émotions, de déchirures, mais aussi d’espoirs.  Non pas que je suggère le remplacement de l’une (la science) par l’autre (la littérature), mais que l’on gagne à « écouter » les deux. »
(Extrait de mon livre : Le Québec raconté autrement, Del Busso, 2023)

« Jude leur a assigné une maison, par contre il veut qu’on les garde à l’œil.  Il se méfie, car ils ont un accent qui ne vient pas du coin. »

(Christian Guay-Poliquin, Le poids de la neige, La Peuplade, 2016, p. 136)


Réflexion

Le contexte : trois personnes sont arrivées à un petit village québécois (non nommé) durant la nuit.   Affamées et couvertes d’engelures.  Elles habitent un village de la côte qu’ils ont dû fuir à cause des pillages.  Leur motoneige est tombée en panne.

Ils sont considérés comme des étrangers (p. 151).  Comme quoi l’étranger ne vient pas toujours d’un autre pays…

« Je voudrais être le dehors, ne plus avoir de contours ni de frontières et n’être retenue nulle part.  Les plafonds sont trop bas et les murs trop étroits. (…) Les jours de grands vents, je me demande si mes racines vont tenir. »

(Anaïs Barbeau-Lavalette, Femme forêt. Éditions Marchand de feuilles, 2021, p. 7 (roman québécois))


Réflexion

C’est ce que ressentent bon nombre de migrants et migrantes!

« Je suis donc un de ces Sauveurs envoyés au Québec pour régler vos problèmes : votre économie, votre poids politique, votre endettement, votre vieillissement, votre pénurie de main-d’œuvre et, bien sûr, votre fermeture au monde. »

(Akos Verboczy, Rhapsodie québécoise.  Itinéraire d’un enfant de la loi 101. Boréal, 2017, p. 14)


Réflexion

De sauveur, il peut parfois devenir voleur de job, voleur de langue, voleur de logement…

« Qu-est-ce qu’il va falloir que j’accomplisse pour qu’on me traite comme un Québécois, tabarnak? »

(Adib Alkhalidey, Québécois tabarnak. Stanké, 2023, p. 12)


Réflexion

Cette question revient constamment dans les romans.  Ça ressemble au « Dites-leur que je suis québécois » de Mensah Hemedzo (Éditions de l’Homme, 2019) et au « Ne sommes-nous pas Québécoises? » de Rosa Pires (Remue-ménage, 2019).

« Notre histoire est liée à la leur.  Sans chiens, beaucoup de choses deviennent impossibles : se déplacer dans la tempête, juger de l’épaisseur et de la sécurité de la glace, trouver les trous d’air du phoque et bien d’autres choses du quotidien.  En vérité, malgré tout notre savoir, disait mon père, sans son chien l’Inuk marche aveugle et sourd. » (p. 106)

(Michel Jean, Qimmik. Libre Expression, 2023, p. 106)

« Notre meute, décimée.  Je ne peux nommer la rage qui est montée en moi, qui m’a submergée.  L’odeur du sang, sa souillure sur les pelages, sur la neige.  Ma gorge nouée, mes yeux exorbités. (…)  J’étais figée dans le silence.  La douleur.  Et cette immense noirceur qui est tombée sur la taiga comme une fin de monde. » (Ibid,  p. 207)


Réflexion 

Le mot « qimmik » veut dire chien.  Les pratiques colonialistes ont reculé devant rien dans les efforts de détruire les modes de vie des Inuit et de faire obstacle à leur mobilité. Jusqu’à abattre les chiens!

Selon Michel Jean, au milieu du 20e siècle, on aurait dénombré jusqu’à vingt mille « qimmik» (chiens), une espèce maintenant éteinte à la suite des campagnes d’abattage ordonnées par les gouvernements du Canada et du Québec, exécutées par la Gendarmerie royale du Canada et la Sureté du Québec.

« Quand les gouvernements canadiens et québécois ont commencé à faire sentir leur présence dans le Nord, cela a signifié la fin de près de cinq mille ans de vie nomade pour les descendants des anciens peuples Thulé. »

(Michel Jean, Qimmik, Libre Expression, 2023, p. 68)

« À partir des années 1950, les gouvernements ont commencé à regrouper de force dans des villages, ce qui a sonné le glas de leur mode de vie traditionnel. » (Ibid, p. 68)


Réflexion

La sédentarisation forcée, souvent violente, constitue la pièce-maîtresse des politiques colonialistes de dépossessions territoriales pour faire la place aux immigrants et aux colons venus du Sud.  Ces pratiques sont clairement décrites et décriées dans plusieurs autres romans écrits par des écrivaines et écrivains autochtones (Outre Michel Jean, voir An Antane Kapesh, Naomi Fontaine, Virginia Pésémapéo Bordeleau, Natasha Kanapé Fontaine, Tanya Tagak : voir mon livre Le Québec raconté autrement pour une analyse de ces romans.)  Le roman Uashat de Gérard Bouchard raconte cette histoire de façon dramatique à travers le personnage innu de Grand-père.

« - Veux-tu venir jouer avec nous autres, Farid?  Il nous manque un joueur.    Jacques ne m’a pas laissé le temps d’hésiter, il m’a pris par la main, m’a tiré vers le milieu de la cour.  Jacques a été mon premier et mon plus grand ami jusqu’à mon départ de Havre-Saint-Pierre. »

(Abla Farhoud, Havre-Saint-Pierre. VLB, 2023, p. 107)

«  À Havre-Saint-Pierre, madame Landry (…) était la seule à avoir invité ma mère et ma sœur après la messe, un dimanche (Havre-Saint-Pierre, p. 101)

« Elle est de ces personnes qui savent faire oublier son pays à un étranger.  Je me souviendrai d’elle aussi longtemps que je vivrai. »
(Ibid, p. 111).


Réflexion

Ces paroles font penser à l’ami de Boucar Diouf qui l’a invité à fêter Noël chez lui et dont il parle encore aujourd’hui, ou encore à la famille québécoise de Granby qui a accueilli la famille de Kim Thúy et dont elle est très reconnaissante.

« Je ne sais pas si vous avez remarqué, mais ils dépensent des millions de dollars de votre argent, pour acheter de la publicité pour nous convaincre que c’est important de se sentir fier d’être Québécois.  Ils nous vendent un sentiment d’appartenance comme si c’était une paire de chaussures, alors qu’on sait très bien que ce qui contribue réellement au sentiment d’appartenance et au sentiment de fierté ce sont les objets qui rentrent dans le cœur.  Et il n’y a rien qui rentre dans le cœur comme la fucking culture québécoise. »

(Adib Alkhalidey, Québécois tabarnak. Stanké, 2023, p. 19)


Réflexion

De la même façon qu’il faut investir dans des programmes efficaces de francisation, il faut aussi investir dans les apprentissages de la culture québécoise.  Comme le souhaitait Brian Myles dans son éditorial du 6 janvier 2024, « Pour l’amour du français » (Le Devoir, 6 janvier 2024), « Des états généraux sur le français, consacrés au lien entre langue et culture, ne seraient pas de trop au rayon des meilleurs vœux pour 2024.

« Même le Québec que j’ai laissé profondément entrer dans mon être me réserve encore des surprises de ce genre.  Il y a, comme ça, des parties cachées d’un iceberg culturel qui appartiennent aux natifs du pays.  Pour l’étranger, ces glaces plus profondément submergées sont plus difficiles à s’approprier. »

(Boucar Diouf, « Le Parti républicain de Donald », La Presse, 10 février, 2024 (chronique))


Réflexion

On peut se demander à quoi Boucar Diouf fait référence lorsqu’il parle de ces « parties cachées de l’iceberg culturel ».  S’agirait-il du nationalisme identitaire qui restreint l’appartenance au NOUS québécois aux seules personnes de langue maternelle française ou qui parlent surtout le français à la maison?  Si oui,  il faut rappeler que plusieurs « natifs du pays » (la majorité selon moi) ont aussi des difficultés à s’approprier ces glaces submergées…

« Mais le cégep m’a permis de m’ouvrir sur un autre monde, celui que le Ministère de l’Éducation m’avait habilement caché jusque-là : le Québec. »

(Akos Verboczy, Rhapsodie québécoise. Boréal, 2017, p. 141)


Réflexion

Cette citation soulève le problème des écoles pluriethniques où les francophones sont de plus en plus minoritaires.  Un article récent de Louise Leduc (« Île de Montréal : des écoles de plus en plus homogènes », La Presse, 22 janvier, 2024) souligne le recul de la mixité dans les écoles publiques de Montréal, ce qui fait  que les jeunes immigrants et immigrantes côtoient peu de Québécois et Québécoises « de longue date », minimisant ainsi les contacts avec la « société d’accueil ».  Le choix de l’école privée pour plusieurs francophones va dans le sens d’un rétrécissement de la mixité.

Ceci dit, je ne crois pas que ce rétrécissement de la mixité va jusqu’à produire une guerre « anti-Keb » dans les écoles de Montréal.  Pour le moment, l’existence de  « l’identité anti-québécoise » (Jean-François Lisée, Le Devoir, 27 février),  ou de « l’identité délavée » (Marie-Lou Bouchard, 28 février) ou encore de « l’identité ethnicisée » (Jean-Philippe Bombay, 28 février) reste à démontrer par des recherches scientifiques qui vont au-delà de l’anecdotique.  Ce genre d’insinuation se rajoute à une longue liste d’associations non fondées sur l’impact de l’immigration : les immigrants voleurs de jobs, puis voleurs de langue, puis voleurs de logements, et maintenant voleurs de culture.

« On vous classera enfin parmi ceux et celles qui empêchent les gens sérieux de parler librement (ah, la fameux ‘on ne peut plus rien dire – de ceux et celles qui s’égosillent sur toutes les tribunes à la fois!). »

(Melikah Abdelmoumen, Les engagements ordinaires. UQAM, Documents, 2023, p. 80)


Réflexion

Il assez sidérant de lire les récriminations concernant le totalitarisme sans le goulag (voir Isabelle Hachey, « Tordre la vérité avec Bock-Côté », La Presse, 27 janvier 2024), ou les lamentations sur le rétrécissement de la liberté d’expression de ceux et celles qui occupent presque toute l’espace médiatique, comme, par exemple, Stéphane Bureau, Guy Nantel, Marie-France Bazzo, Mathieu Boch-Côté, Richard Martineau et autres.  Il est de bon ton, dans cette mouvance, de clamer haut et fort que le Québec est envahi par le « wokisme » et la culture de l’annulement.  J’ai été affublé de ce qualitatif pour mes positions sur le racisme systémique, sur la nécessité d’élargir l’appartenance linguistique au delà de la langue maternelle et sur l’idée d’une nation québécoise davantage inclusive, toutes des positions qui peinent à franchir l’univers médiatique.  Pourtant, comme l’écrivait Patrick Lagacé dans La Presse du 4 octobre 2021(« Monsieur Woke ») :

« La différence, c’est bien sûr que les wokes n’ont à peu près aucun pouvoir concret.  Il n’y a pas de Richard Martineau woke disposant de tribunes dans le plus grand groupe médiatique québécois pour  teinter l’imaginaire de la Nation. »

« Même que, quand il dépose Juliette à l’école, il fait souvent un détour par la caserne de pompiers avant de dropper notre fils à Rhada, l’Algérienne voilée qui, quoi qu’en pense Richard Martineau, en prend soin comme de la prunelle de ses yeux depuis qu’il a deux ans sans jamais lui avoir parlé une fois de Mahomet. »

(Geneviève Pettersen, La reine de rien, Stanké, 2022, p.25;  l’autrice de La déesse des mouches à feu)


Réflexion

Ce roman n’est pas un roman sur l’immigration, je le sais, je triche.  Mais  cette courte phrase, ironique, qui va à l’encontre d’une idée reçue (le supposé prosélytisme) à la base de la loi québécoise sur la laïcité interdisant le port du voile aux enseignantes, m’a fait du bien.

« … sans madame Chaussé qui nous a aidés et surtout aimés, serions-nous les mêmes aujourd’hui, serais-je la même personne, si elle n’avait pas été là?  Pendant la grisaille des premières années d’une famille d’immigrants déboussolée, s’il n’y avait pas eu de la bonté quelque part sur notre passage, serions-nous encore vivants?  Je ne veux pas dire morts physiquement, mais intérieurement si ébranlés que nous serions incapables d’aimer à notre tour la vie… et les gens de ce pays. »

(Abla Farhoud, Toutes celle que j’étais, VLB, 2015, p. 66)


Réflexion

Devenir québécoise ne résulte pas uniquement de l’obtention d’un statut « légal » (résidence permanente, citoyenneté) mais aussi de sentir une appartenance réelle qui vient du regard accueillant de l’autre.

« Si tu renonces au péché… cette condition ressemblait à une menace. »

(Éric Chacour, Ce que je sais de toi, Alto, 2023, p. 118)

« La rumeur.  Celle qui se propage, invisible comme le vent dans les palmiers.  Celle qui souille ce qu’elle ne comprend pas.  Les vitres de ton cabinet avaient été brisées de l’extérieur.  Celle qui condamne ce qui lui est inconnu. » (p. 133)

(Ibid, p. 133)


Réflexion

Au delà des chiffres, il y a des contextes à la base de l’émigration.  Derrière chaque statistique, il y a des facteurs humains qui entrent en ligne de compte dans la décision souvent non voulue de quitter son pays.  Dans la période actuelle de débats désincarnés sur les seuils (immigration permanente et temporaire), une meilleure connaissance et prise en compte des contextes de départ aideraient à « humaniser » l’accueil.

« Le mois de novembre est déjà à nos portes et j’ai posé ma candidature pour chacune des annonces de La Presse, du Devoir, de la Gazette, mais ça n’a rien donné. » (p. 12/551)

« Je suis douée avec les enfants, je suis une enseignante généreuse.  C’était ce que je faisais de mieux à Beyrouth, à l’époque où les courtes trêves au milieu des combats permettaient aux écoles de rouvrir leurs portes. » (p. 18/551)

Dimitri Nasrallah, Hotline, Le Peuplade, 2023 (version numérique, format 551 pages)


Réflexion

Plusieurs témoignages vont dans le même sens : pas facile de faire reconnaître l’expérience acquise à l’extérieur du Québec.  Le témoignage le plus accablant sur cet obstacle est bien décrit dans le livre de Mensah Hemedzo, Dites-leur que je suis québécois (Édition de l’Homme, 2019) qui a inspiré le chapitre « Le racisme systémique à l’œuvre » dans mon livre Le Québec raconté autrement (Del Busso, 2023, p. 155-163).

« Juste pour vous expliquer un peu comment fonctionne un régime tyrannique, la première chose que ça fait, c’est de s’attaquer aux artistes et aux intellectuels.  Pas parce que les artistes et les intellectuels sont meilleurs que les autres, je vous l’ai dit tout à l’heure, tout le monde est essentiel, du plombier jusqu’au poète.  La raison pour laquelle le régime s’attaque aux artistes et aux intellectuels, c’est parce que, règle générale, l’artiste et l’intellectuel  leur outil de travail, c’est la parole. (…)

(Adib Alkhalidey, Québécois tabarnak, Stanké, 2023, p. 57)


Réflexion

Ce genre de critique sur la tyrannie et l’emprisonnement de la parole, on la retrouve dans plusieurs romans de l’exil.  On peut faire un rapprochement ici avec la liste noire de Duvalier qui en a forcé plus d’un à fuir Haïti (Danny Laferrière, Émile Ollivier, George Anglade), ou encore avec la fuite de plusieurs réfugiés en provenance de l’Amérique Latine (le Chili de Caroline Dawson, le Brésil de Sergio Kokis, l’Arménie de Rima Elkoury et de Vania Jimenez, le Liban d’Abla Farhoud, de Dimitri Nasrallah et d’Alain Farah -  voir mes analyses de leurs romans dans mon livre Le Québec raconté autrement, Del Busso, 2023).

« À quoi servent les livres s’ils ne nous ramènent pas vers la vie, s’ils ne parviennent pas à nous faire boire avec plus d’avidité?   (…)  Ce que je voudrais dire brièvement c’est qu’un livre, comme tout autre objet, sert souvent de prétexte à ce que nous cherchons en réalité.  (…)  Lire comme il faut c’est s’éveiller et vivre, acquérir un renouveau d’intérêt pour ses voisins, en particulier ceux qui diffèrent le plus de nous dans tous les domaines. »

(Henry Miller, « Lire ou ne pas lire », Revue Esprit, avril 1960, p. 653)

« Elle (la littérature) est en revanche un témoignage, la mesure d’une époque, parfois sa critique.  L’écrivain est un témoin, non pas dans un procès –qui serait le procureur de ce procès? -, mais dans une procédure, il cherche à mieux comprendre les enjeux de notre modernité. »

(J.M.G. Le Clézio, Identité nomade, Robert Laffont, 2024, p. 67-68)


Réflexion

Deux citations aujourd’hui de deux auteurs inspirants, dont l’un (Le Clézio) a reçu le Nobel de littérature en 2008).  C’est dans cet esprit que je situe ma recherche sur l’immigration à travers les romans comme sources de connaissances.  Comme le dit Guillaume Musso, « La vie est un roman » (Calmann-Lévy, 2020).

« Elle (Madame Dieudonné) a adopté comme un parfum de l’accent haïtien de ses parents – elle est née au Québec -, pour le reste c’est du beau gros québécois. (…) Elle dit qu’elle pourrait être la première Noire à jouer dans les pièces de mon cousin. »

(Michel Tremblay, Le peintre d’aquarelles, Leméac, 2017, p. 48)


Réflexion

Et pourquoi pas une personne Noire ou Asiatique dans une pièce de Michel Tremblay?  Un nouvel indicateur intéressant de l’intégration culturelle.

« … il sent un mur.  Ce mur a une porte, cette porte a une serrure et la serrure est verrouillée.  Certains ont des clés pour entrer dans ce monde, mais Keita n’en a aucune. »

(Lawrence Hill, Les Sans-Papiers, Éditions Pleine Lune, 2016, p. 223)


Réflexion

En 2015, presque 10 ans avant l’adoption par le Royaume-Uni d’une loi prévoyant l’expulsion des réfugiés vers le Rwanda, Lawrence Hill a publié ce roman qui raconte la mise en œuvre d’ententes entre un pays du nord (Libertude, nom fictif pour l’Angleterre) et un pays africain nommé Zantoroland (nom fictif).  Ces ententes prévoient l’arrestation et l’expulsion des réfugiés vers Zantoroland, avec compensations financières. En lisant ce roman, je me disais « bien sûr, il s’agit d’une fiction.  L’auteur exagère.  Aucun pays n’oserait aller aussi loin ».   Eh bien, oui : au Royaume-Uni, la réalité dépasse maintenant la fiction!

« … je vois les œuvres littéraires comme autant de lunettes sur le monde. »

« Comment la mémoire peut-elle faire en sorte que les pans les plus noirs de notre histoire commune ne se répètent pas? »

Melikah Abdelmoumen, Les engagements ordinaires, UQAM, Documents, 2023, p. 34.


Réflexion

Appliquée à l’immigration, la première citation exprime l’idée que l’histoire de l’immigration au Québec est directement liée à l’histoire mondiale : les migrations autochtones dans le contexte des premières migrations mondiales en provenance de l’Afrique, l’immigration dans le contexte colonialiste et esclavagiste, celle en lien direct avec les régimes totalitaires et répressifs (Amérique Latine, Caraïbes, dont Haïti, Asie).  La deuxième citation donne à la mémoire et à l’histoire un rôle clé dans la prise de conscience des moments noirs de l’histoire de l’immigration (sélections discriminatoires et racistes, déportations, emprisonnements, exclusions, exploitations) et dans la mise en place de politiques d’immigration moins axées sur le rendement économique et davantage ouvert aux dimensions humanitaires (réfugiés, demandeurs d’asile).

« Toute ta culture n’est que survivance.  Elle n’est que résilience.  Elle n’est que résistance. Tu es un enfant de la Terre.  Tu es innu.  Ne l’oublie jamais Mathias. »

(Carole Labarre, L’or des mélèzes, Mémoire d’encrier, 2022, p. 99)


Réflexion

Pendant longtemps, le Québec francophone a vécu avec cette préoccupation de la survivance.  Nous ne sommes plus là.  La culture francophone du Québec est très foisonnante même si elle demeure fragile.  On ne doit jamais l’oublier.  Cela devrait aussi nous faire comprendre les revendications autonomistes des premières nations.  En effet, les revendications territoriales se déploient souvent au nom de l’autonomie et de la souveraineté.  Comme l’exprime Naomi Fontaine : « Est-ce qu’un pays commun pourrait naître? Bâti sur l’autodétermination des Premières Nations, le nationalisme québécois et néoquébécois.  Je crois que c’est possible. Nous verrons peut-être le jour où nos deux histoires se rencontreront, pour la seconde fois. » (Shuni, Mémoire d’encrier, 2019, p. 143)

« L’ignorance mène à la peur,
et la peur mène à la haine,
et la haine conduit à la violence.
Voilà l’équation. »

(Averroès – Abual al Walid Ibn Rushd, 1126-1198)


Réflexion

Parfois, les romans sont écrits sur des murs.  J’ai aperçu cette citation sur le mur d’un immeuble en me promenant dans Belleville, à Paris, le 25 mai 2018.  Il faut rappeler que Belleville est un quartier de Paris reconnu pour sa grande diversité des populations (surtout Africaines et Asiatiques).

Je pense que la citation n’a pas besoin de commentaires sauf pour répéter que la lecture, entre autres, des témoignages écrits dans les romans est un premier pas important pour combattre l’ignorance et domestiquer la peur.

« Parce que savoir patiner fait partie de l’intégration.
Si l’immigrant arrivait trop vieux, il était fichu ! »

(Abla Farhoud, Toutes celles que j’étais, VLB, 2015, p. 37)


Réflexion

Les études scientifiques sont unanimes sur le fait que l’immigration à un jeune âge facilite l’intégration, en particulier si l’émigration a lieu avant l’âge de 10 ans. L’école joue alors son plein rôle intégrateur même si les jeunes immigrantes et immigrants doivent faire face à certaines formes d’exclusion. Ceci dit, l’émigration (l’envers de la médaille) à un jeune âge peut être très douloureuse : le roman de Caroline Dawson, Là où je me terre, est très révélateur à ce sujet.

« Et le professeur insiste : Ton pays Mamadou.  Et Mamadou répond qu’il est québécois.  Et le sourcil droit de l’enseignant tressaute : Le pays de tes parents, Mamadou.  Et Mamdou : C’est leur pays, plus le mien ». 

(Contexte : le professeur d’histoire demande à Mamadou de faire une recherche sur l’histoire de son pays et il a choisi le Québec.)

 (Ayavi Lake, La sarzène, VLB, 2022 p. 106)


Réflexion

Cette citation montre non seulement le décalage entre Mamadou et ses parents mais aussi entre le professeur et Mamadou.  Toujours le regard de l’autre qui tend à emprisonner l’immigrant et l’immigrante dans une identité unique, celle de ses origines ou celles de ses parents.  C’est Mauricio Segura dans son roman Viral (Boréal, 2021) qui utilise le mot »prison » en faisant dire à l’un de ses personnages : « L’image que ses autres se font de toi, c’est une ‘fucking’ prison » (p. 41).

« L’étranger ne considère pas du tout le nouveau modèle (qu’on lui propose) comme un asile protecteur, mais bien plutôt comme un labyrinthe dans lequel il a perdu tout sens de l’orientation. »

(Alfred Schütz, L’étranger. Éditions allia, 2003 − Texte écrit en 1944 : traduction de Bruce Bégout)


Réflexion

On reconnaît dans cette citation, la complexité de la rencontre de deux modèles d’intégration, l’un proposé par la société d’accueil, l’autre provenant des expériences antérieures vécues ailleurs. Je trouve la notion de « labyrinthe » fort intéressante pour comprendre le cheminement de plusieurs immigrantes et immigrants.

« Ce pays (Liban) est un sexe ambulant.  Le sexe est imprimé dans le regard des hommes. (..)  Parce qu’on sait très bien qu’une fois qu’on est mariée  notre pouvoir féminin en prend un sacré coup.  Quand on cédé au désir du mâle, même une seule fois, c’est terminé.  (…) Une fois qu’il est abîmé, le voile de pureté, comme certains appellent la virginité, ne vaut plus rien.  Et nous non plus. »

(Abla Farhoud, Au grand soleil cachez vos filles. VLB, 2017, p. 22)

« Je n’en peux plus de ces yeux possessifs et malsains, j’en ai assez de ces regards qui se vautrent sur mon corps.  Je n’en veux plus de ces yeux qui glissent sur et qui ont juste envie de me déflorer.  Je n’en veux plus de cette fleur immonde. »

(Ibid, p. 120)


Réflexion

L’émigration est souvent une porte de sortie cruciale pour plusieurs femmes (pour celles qui le peuvent!) qui en ont mare d’un régime « féodal » basé sur les inégalités de genre et où règne un sexisme accablant.  Ikram (personnage principal) dira dans l’avion de retour à Montréal après une visite au Liban: « Je suis passée à travers les rayons du soleil, saine et sauve.  Je ne me cacherai plus et personne ne me dira cache-toi » (Ikram. p. 226; c’est la dernière phrase du livre).  Cette cause à la base de l’émigration est rarement identifiée dans les théories migratoires.  C’est donc souvent grâce aux œuvres romanesques féminines que ces inégalités de genre sont documentées.

« Bref, quelque part en chemin, je suis devenu québécois.  Pas du jour au lendemain, vous l’avez vu. »

(Akos Verboczy, Rhapsodie québécoise.  Itinéraire d’un enfant de la loi 101, Boréal, 2017, p. 219)


Réflexion

Comme l’exprime bien Marco Micone, « On ne nait pas Québécois, on le devient ». Devenir Québécois est un processus.  Il s’agit d’un processus universel qui concerne tout le monde.  Ce processus passe par la socialisation, concept-clé de la sociologie.  Pour les personnes nées au Québec, la « québécitude » s’apprend  d’abord dans la famille, mais aussi – et surtout - à l’extérieur (école, amis, travail, voyages, etc.).  Pour les personnes immigrantes, le processus se met en place dès le premier instant de l’arrivée et passe surtout à l’extérieur de la famille.  Il faut bien souligner qu’il n’existe pas un seul modèle de québécitude.  Les contours de la québécitude vont varier selon la période historique, la génération, le genre, l’âge, la religion, la classe sociale et, pour les groupes immigrants, selon l’origine nationale.  Pour moi, une culture québécoise « unique » n’existe pas;  il existe plutôt des cultures qui s’entrecroisent et parfois s’affrontent.

« Elle s’était alors accrochée à l’idée de faire de ses enfants de parfaits Québécois d’origine sénégalaise. »

Ayavi Lake, La sarzène, VLB, 2022 p. 163


Réflexion

On sous-estime parfois à quel point les parents immigrants désirent vraiment que leurs enfants deviennent québécois, tout en gardant des liens avec leurs racines.  Évidemment, encore faut-il que les membres de la société d’accueil cessent de les renvoyer constamment à leurs différences, ce que Caroline Dawson appelait « l’amertume de la différence » dans son livre Là où je me terre.