Return to Migration et COVID-19

(9/10) Beyrouth, Liban

11 avril 2020

La distanciation physique dans le camp de Chatila : quand la peur du virus devient elle aussi un privilège

Rapport de Myriam Ouellet
Candidate au doctorat à l’Université York de Toronto

Dans le cadre de son mémoire de maîtrise portant sur les trajectoires migratoires de réfugiés syriens ayant été réinstallés dans la ville de Québec, Myriam a fait un séjour de terrain au Liban en décembre 2017 ainsi qu’en avril et mai 2018. Ce terrain s’est principalement déroulé dans la ville de Beyrouth.


« Et Chatila? »

La pandémie du coronavirus avance au Liban. Elle menace entre autres le camp palestinien de Chatila, situé entre la municipalité de Ghobeyri et la banlieue sud de Beyrouth. Après avoir séjourné près de six mois au pays dans le cadre d’un projet de recherche portant sur l’expérience des réfugiés syriens exilés au Liban, cette simple question « Et Chatila? » eut, au cours des dernières semaines, tôt fait de me rattraper le cœur et l’esprit.

Dans le camp de Chatila, l’application des mesures préventives pour éviter l’apparition – aucun test positif n’ayant été recensé à ce jour – et la propagation du virus Covid-19 représente un défi de taille pour les quelques 20 000 à 25 000 réfugiés palestiniens, syriens, et autres migrants, qui cohabitent à l’intérieur de ce mince demi-kilomètre carré.

À l’heure actuelle, bien peu de mesures ont été entreprises afin de contrer la propagation à l’intérieur du camp. Elles se limitent à une campagne de désinfection lancée par la municipalité de Ghobeyri, à la distribution de matériel antiseptique dans les foyers, ainsi qu’à des annonces publiques par microphones à partir de 16h pour inciter au confinement.

Bien qu’il soit difficile – voire souvent impossible dans cet espace surpeuplé – de respecter les recommandations de distanciation physique, pour une majorité des résidents du camp, la réalité économique demeure l’obstacle principal. Dans les rues de Chatila, somme toute moins bondées qu’à l’habitude, la peur est bel et bien présente. Elle porte toutefois un autre nom : la faim.

Au Liban, les droits des réfugiés palestiniens sont largement restreints, notamment l’accès à l’éducation, aux soins et à l’emploi. Le travail journalier informel dans des petits commerces à l’intérieur du camp – le principal type d’emploi pour la majorité des résidents du camp – est désormais largement amputé et, pour ces milliers de familles subsistant au jour le jour, l’absence de provisions frappe cruellement. Les dispositifs d’aide d’urgence pour soutenir économiquement les familles durant cette crise sanitaire sont pratiquement inexistants; les ONG locales ainsi que l’UNRWA (United Nations Relief and Works Agency) n’ont à ce jour lancé aucun programme d’aide spécifique concernant le Covid-19.

Le 30 mars dernier, j’ai pu contacter Majdi, un ami résident du camp de Chatila. Il rapporte en ces mots la situation actuelle : « Vraiment, nous avons besoin d’aide et de soutien. Les gens dans le camp sont apeurés, ils cherchent constamment un moyen d’apporter de la nourriture pour leur famille, vraiment, la situation est très inquiétante. Pas inquiétante à cause du virus en tant que tel, mais plutôt parce que nous n’avons pas de nourriture. Nous nous demandons constamment comment trouver de la nourriture pour nos familles. C’est le plus gros problème actuellement… »

Lien web : https://www.lorientlejour.com/…/dans-le-camp-de-chatila-on-…
Photographies © Majdi, résident du camp de Chatila.